Le dernier concert de Johnny Halliday, un spectacle de Jean-Marie Bigard, ou une x-ième émission de téléréalité sont-ils des actions culturelles ?
Pour moi la réponse est non et pour vous ?
Même question maintenant au sujet d'un festival de musique du monde ou de l'exposition en cours au centre Pompidou ? Là ma réponse est plutôt oui ... quoique !
Ces questions semblent avoir peu d'intérêt autres que théorique pourtant elles cachent des enjeux importants y compris sur le terrain.
D'abord, l'intégration d'une action au champ culturel la rend éligible aux différents systèmes d'accompagnement de la culture (financement, emploi, ....). Or les moyens de la culture sont limités et cela peut paraître choquant de les consacrer à telle ou telle action. (Certains se souviennent peut-être de ces stars qui pointaient aux intermittents du spectacle !!!)
Mais plus grave encore. Une dynamique pousse aujourd'hui les acteurs culturels à voir la part d'auto-financement ou de financement privés augmenter dans leur projet. Le risque est de voir les actions s'éloigner du champ culturel pour s'approcher de celui du divertissement. La question se repose alors de savoir à partir de quand ces actions ne seront plus d'ordre culturel. Et donc à partir de quand elle ne seront plus éligibles aux soutiens dédiés à la culture.
Savoir et plaisir : Un début de solution
Je pense que la distinction entre les diverses actions dont on parle ici tient à la différence entre culture et divertissement. Et que cette dernière est elle-même en liaison étroite avec les notions de savoir et de plaisir.
Comme je l'ai déjà dit dans un autre billet, la culture est pour moi un savoir partagé. C'est le partage au sein d'une population qui fait passer une notion, une idée du domaine privé au domaine culturel.
Le plaisir qu'utilise nombre d'actions culturelles n'est pas un objectif en soi. Il s'agit d'un moyen au service du partage de connaissances. A l'inverse dans un divertissement, c'est bien le plaisir qui est l'objectif (et le savoir qui peut y être un moyen). (Pour d'autres conséquences importantes de la distinction entre objectif et moyen vous pouvez aussi lire les billets sur le jeu de CST ou l'école et le musée)
Cette façon de voir permet de clarifier un peu les choses.
Concernant nos exemples : concert de star, one-man show ou émission de TV n'ont d'autres savoirs à partager que la deuxième strophe de la chanson de bidule, la troisième blague du spectacle de machin, etc... Notez que cela ne discrédite en rien ces actions qui pour les 2 premières d'ailleurs visent d'autres formes de partages : le moment, l'émotion, le plaisir, ...
Le cas du concert de musique du monde est plus ambigu. Certains ne seront que purs divertissements organisés autour d'une thématique particulière. Alors que d'autres viseront des objectifs très culturels tels que la découverte de la culture d'autrui, la connaissance partagée de références musicales universelles, ... La plupart "voyageront" entre les deux.
Ce distinguo entre les objectifs de la culture et du divertissement permet également de revoir le deuxième enjeu présenté plus haut sous un autre angle. Le glissement des actions culturelles vers le divertissement, notamment sous la pression de l'auto-financement (mais aussi des politiques du chiffre - voir le billet sur l'argent) pourrait justifier de leur retirer certains financements publiques. Mais la chose est bien plus grave, puisque nous comprenons maintenant que ce glissement peut représenter un changement profond d'objectif. Les actions culturelles risquent ainsi à force de vouloir faire plaisir aux publics d'y perdre le pourquoi de leur existence : à savoir "faire culture". (Ce n'est pas le propos de Vulgaris mais on pourrait certainement faire aussi des parallèles intéressants avec les objectifs du JT de 20h : l'info ou l'audimat ???)
2 cas pour illustrer ces glissements volontaires ou non. Les conférences TED et TEDx sont un superbe exemple à méditer. En effet le format très "communiquant" amène certains orateurs à tomber dans le spectacle et à en oublier les objectifs de base de ces conférences qui n'est pas le divertissement. Un autre exemple qui fait réfléchir est celui des parcs à thème scientifique qui n'existaient pas il y a quelques années et qui aujourd'hui revendiquent leur orientation "loisirs et divertissements" (Cité de l'espace, Bioscop, Vulcania...).
Une conclusion en guise d'invitation
Cette idée que nos actions, y compris nos actions de terrain, se doivent avant tout de répondre aux attentes du public, de leur faire plaisir pour en conquérir toujours plus, peut nous amener à perdre le fondement de notre travail, de nos institutions ou de nos actions. Gardons la tête froide, ne cédons pas à la facilité du "tout pour plaire", réfléchissons au pourquoi de ce que nous faisons !
Et si cette réflexion vous a plu, revenez-nous voir sur Vulgaris car un autre billet sur le sujet est en préparation.
Ces idées sont extraites d'un travail sur la modélisation des actions culturelles basée sur une réflexion critique des modèles de la situation pédagogique, d'enseignement ou de formation (Legendre, Carré, Houssaye, ... )
Il me semble qu'il peut arriver que le plaisir soit l'objectif principal d'une action donnée d'un établissement de CST.
RépondreSupprimerSi l'objectif de l'établissement est la diffusion de la culture, pour que cette diffusion ait lieu, encore faut-il qu'il y ai des publics. Dans la même veine dans la notion de savoirs partagés, c'est bien partagés entre un maximum de gens qui compte (pas entre 3 universitaires, deux passionnés et un étudiant).
Du coup, pour atteindre son objectif de culture, l'établissement (on va dire le musée pour faire court), doit bien amener les publics à venir... tous les publics (si possible), y compris certains qui pourraient à priori être réfractaires à la démarche 'aller au musée'.
Donc, sur une offre donnée, on peut, il me semble, tout à fait se fixer comme objectif principal : le plaisir du public. Avec dans l'idée que si des gens se sont amusés au musée (et on s'en fout s'il n'ont rien appris) cela permettra de créer un début de relation, de confiance qui les amènera peut-être à re-venir pour participer à un offre, cette fois, plus culturelle (au sens ou tu l'entends).
J'ai d'autre remarques, mais je me les garde pour le moment... ;o)
Malvina
Je suis tout à fait d'accord avec toi, Malvina ! Mon propos n'est pas "d'interdire" le divertissement dans les lieux culturels mais d'y forcer à une clarification entre ce qui est culturel et ce qui ne l'est pas.
RépondreSupprimerDans un musée par exemple, il existe énormement d'actions qui participent aux objectifs de l'établissement. Toutes ces actions n'ont pas un objectif culturel. Les actions du service RH ou comptabilité ne sont clairement pas à visée culturelle. Le cas des actions "marketings" ou publicitaires est moins évident mais on comprend aisément que l'objectif opérationnel est très rarement le partage de savoir. Là encore ces actions accompagnent la mission culturelle.
L'enjeu pour l'établissement qui se dit culturel est alors d'éviter de n'avoir finalement que ce type d'action et donc de ne plus avoir aucune offre culturelle.
Dit autrement : partager à plein c'est bien ... encore faut-il avoir des trucs à partager ?
En fait dans un établissement culturel, ma mise en garde pourrait prendre la forme d'une segmentation nette des missions culturelle et d'accompagnement. Chacune portée par un service différent. Cela permettrait de garantir plus facilement que les premières n'y deviennent pas prioritaires dans la structure. (on l'aura compris, pour moi, dans une organisation de ce type le divertissement serait alors du ressort de l'accompagnement) Des axes comme l'augmentation de la fréquentation (qui n'est pas un objectif culturel en lui-même) pourrait alors être mieux traitées. Les services d'accompagnements les prendraient intégralement en charge. Cela leur évitrait d'être trop dépendants de l'offre culturelle (qui n'y comprend pas toujours grand chose en marketing). Cela éviterait enfin que les personnes en charge de l'offre culturelle, au mieux s'arrachent les cheveux avec ce type de billet, au pire finissent par ne penser plus qu'en terme de nombres d'entrées.
(La boucle est bouclée puisque c'est de là qu'était partie ma réflexion !!! - Merci Malvina)
J'aime bien l'idée de segmenter les "métiers" en fonction des objectifs et non pas en fonction d'une typologie des offres (médiation, exposition etc.) ... à creuser, parce que j'imagine qu'il doit y avoir des trucs à réfléchir derrière pour que ça soit fonctionnel...
RépondreSupprimerJ'suis pas certain que ce soit si complexe ... Il n'y pas finalement de révolution là dedans. On pourrait considérer que la logique des organisations actuelles (fonctionnement projet, par objectif, fiche de poste, évaluation, etc.) devrait naturellement faire apparaitre une distinction d'objectif au niveau des organigrammes. En plus une fois l'organisation posée, les outils pour inscrire cette distinction dans les fonctionnements sont souvent déjà en place.
RépondreSupprimerReste plus qu'à prendre un peu de recul et à le vouloir !