mercredi 27 avril 2011

Les experts au service de la démocratie !

La plupart du temps, l'augmentation de la place de l'expert dans le débat public est regardée comme un risque, un danger pour la démocratie. Ils seraient les agents ou les symptomes d'une technocratisation et d'une scientifisation de la société. Ils augmenteraient le poids des sciences et des scientifiques dans les débats au détriment des citoyens ou d'autres acteurs (politique, judiciaire, ...). Ils serviraient de cautions scientifiques et/ou techniques à des choix ou des idéologies diverses. Etc. Etc.
Bref, le débat n'est pas nouveau dans le monde de la culture scientifique ou de l'étude des relations science-société, pourtant j'ai rarement vu un défenseur de ce statut.



Moi personnellement, j'aime bien cette notion d'expert et curieusement c'est parce qu'elle me semble d'une honnêteté rare (pour ne pas dire d'une honnêteté "scientifique").

Argument 1 : L'expert est refutable dans sa position et dans son discours
Si l'on remet si souvent en cause les experts, n'est-ce pas justement parce qu'on peut aisément le faire ? L'expert est souvent censé représenter un savoir détenu par une communauté. Quand le savoir est scientifique, il est réfutable par essence. Mais même quand le savoir n'est pas scientifique, c'est l'expert lui-même qui est réfutable dans son statut de représentant - il suffit pour cela de faire appel à la dite communauté. C'est important dans la mesure où contrairement aux autres intervenants du débat public, l'expert n'existe qu'en tant que représentant d'une communauté qui peut toujours (même si c'est complexe !) le désavouer. Même les élus ne représentent plus le peuple depuis longtemps. L'élu représente ses propres idées auxquelles ont souscrit à un instant donné une part de l'électorat (et encore en partant du principe qu'un élu annonce réellement ce qu'il compte faire). Ainsi, contrairement à l'expert, l'élu s'exprime finalement toujours en son nom (à quand les mandats révocables pour non observance des promesses de campagne).
(voilà pour l'honnêteté "scientifique" !)

Argument 2 : L'expert n'existe qu'en référence à un domaine clairement délimité.
Ce qui est important dans l'argument 1, c'est surtout que l'expert est toujours attaché à un domaine explicite. Et pire, s'il veut garder son statut d'expert, il ne peut que s'exprimer dans ce domaine. Qui ne s'est jamais insurgé de voir un astrophysicien s'exprimer sur les OGM, ou un botaniste sur les dangers des centrales nucléaires. L'auraient-ils fait si on les avait interrogés en tant qu'experts des OGM ou des risques du nucléaire ???
A l'inverse, les autres acteurs du débat public n'ont pas ce type d'obligation. A quel titre, pour quelle valeur et dans quels buts, sur la base de quelles expériences, ... s'expriment : le responsable de l'opposition, le responsable syndical, la madame Michu du micro-trottoir, l'ex-ministre de la recherche, le footballeur du PSG... Finalement dans l'ensemble des intervenants du débat public peut-être que l'expert est celui qui est le plus proprement défini.

Argument 3 : L'expert éclaire mais ne décide pas
L'expert n'est jamais convoqué pour faire un choix, même si son avis, ses connaissances peuvent avoir des conséquences graves. Ainsi l'expertise impose une différence plus nette entre le débat et la prise de décision. Il impose, quelque part, une meilleure identification de 'quand' et 'par qui' les choix sont faits. Les grandes crises sanitaires ont d'ailleurs montré comment l'expertise pouvait favoriser la réémergence des responsabilités politiques. Même si c'est sous la forme de condamnations (minimes) a posteriori ou d'un principe de précaution (critiquable) a priori, ce sont bien les décideurs qui font les choix et ils en assument la responsabilité.

Argument 4 : L'expert clarifie les positionnements dans le débat
La participation d'un expert à un débat clarifie les positions des autres interlocuteurs. D'une part du fait de l'expression de son champ de compétence, il peut inciter autrui à faire de même. D'autre part, en étant positionné comme expert, il délimite aussi un champ sur lequel les autres interlocuteurs ne peuvent s'exprimer que s'ils sont experts eux-mêmes. Ainsi, les autres interlocuteurs peuvent :
  • soit s'exprimer sur le domaine de l'expert et ils devront justifier de leur expertise ou voir leurs discours disqualifiés de fait,
  • soit s'exprimer sur le domaine pour lequel ils sont interrogés.


Conclusion
Tous ces arguments ne sont pas un plaidoyer pour plus d'expertise. Les contre-arguments, les risques, les perspectives de l'expertise sont tout simplement largement abordés ailleurs et ce bien mieux que je ne pourrais le faire (voir le billet d'Enro qui a motivé ce texte).
Par contre je suis partisan d'une certaine clarté dans les débats, vous l'aurez compris ! Or j'ai souvent l'impression que les débats sur l'expertise se concentrent sur les risques liées à des "expertises qui n'en seraient plus". On pointe les dérives par rapport à ce que devrait être l'expertise, et on en souligne les risques. Mais on finit surtout par oublier que ces risques ne sont pas ceux de l'expertise en elle-même, mais ceux de la "mauvaise" expertise. (Comme si on jugeait la science à l'aune des pseudo-sciences, ou des charlatanismes qui s'en revendiquent ???). Dommage car je crois sincèrement que l'expertise en elle-même peut avoir de nombreux intérêts pour notre société en forçant les débats à plus de clarté et les parties prenantes à plus d'honnêteté.

2 commentaires:

  1. Merci Thomas pour ce billet qui contre-balance mon propos ! En te lisant (et du coup aussi un peu en me relisant), je m'aperçois qu'on confond sans doute deux types d'experts : l'expert médiatique, convoqué par les journaux pour apporter une parole qu'eux-même ne peuvent tenir (bien que souvent, ils ne soient pas très éloignés) et l'expert qui intervient dans une expertise collective, un rapport ou la décision d'un comité théodule. J'ai du mal à croire que le premier est aussi bien défini que tu ne le dis, c'est une figure floue comme le montre cet exemple où un monsieur est présenté en deux coups de cuillère à pot comme "conseiller des entreprises dans la lutte contre les braquages et expert auprès des principaux observatoires et services spécialisés" : http://www.20minutes.fr/article/605661/chat-vous-interviewez-doron-levy-braquages Je ne sais pas trop quelle communauté il représente…

    Par ailleurs, tu écris que "les grandes crises sanitaires ont montré comment l'expertise pouvait favoriser la réémergence des responsabilités politiques" mais souvent elles les dissimulent, elles permettent de retarder la prise de décision et de se défausser etc. comme dans l'exemple du Mediator !

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  2. Concernant la distinction entre les 2 types d'experts, il n'y a de réelles différences pour moi que dans la fréquence des dérives. Effectivement l'expertise, telle qu'elle est pratiquée ou revendiquée dans les médias, fait souvent apparaitre de "mauvais experts". Mais là encore, et ton exemple le montre bien, être qualifié d'expert oblige à expliciter au nom de quoi. Ce processus clarifie le propos même dans les cas où l'énoncé du domaine d'expertise ou de la communauté représentée est "flou". Dans ton exemple, on voit assez bien que :
    1 - la vraie reconnaissance affichable est le statut d'auteur de la personne
    2 - les autres références d'expertise sont non explicites
    3 - l'activité privée de consultant est vaguement mentionnée alors qu'elle semble centrale
    4 - aucune référence universitaire, d'article publiée avec comité de lecture, de représentation de communauté officielle, ...
    Or aurions-nous eu la même facilité à "éplucher" cette intervention, si le journaliste n'avait fait intervenir cette personne qu'en tant qu'auteur ? Je pense que c'est bien la mention d'expert qui oblige, malgré toutes les dérives possibles, à une forme de clarification des choses.

    Concernant les "crises sanitaires ..." : je suis tout à fait d'accord avec toi, l'usage fait des expertises (plus ou moins propres) par les responsables politiques est très criticable. D'ailleurs, comme tu le dis dans ton billet, les scientifiques ne sont pas "innocents" dans ces dérives. Encore une fois, je suis bien conscient des défauts de l'expertise, de ses dérives et des usages qu'on en fait. Dans le cas des crises sanitaires, c'est aussi du fait des expertises, qu'on a réussi à nous servir le fameux "responsable mais pas coupable". Pourtant je ne peux m'empêcher de voir là dedans une reconnaissance des responsabilités, des personnes qui ont en charge les choix et cela par opposition aux scientifiques-experts.

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