Pourquoi demanderait-on à la culture scientifique de faire la promotion de conceptions du monde avec lesquelles la science n'a rien à voir, pire est en désaccord ?
Lisant avec la plus grande attention le Manifeste du collectif Revoluscience, je me suis arrêté un moment sur une des propositions concernant les relations aux publics. Elle dit : "Pour une médiation scientifique non autoritaire qui dialogue avec d’autres manières de penser le monde, qui sache valoriser les « savoirs profanes » et qui respecte les croyances populaires". Le paragraphe qui suit semble donner quelques exemples de savoirs profanes : "tours de mains du cuisinier, aux remèdes de grand-mère, aux opinions anti-OGM ou pro-phytothérapie, voire à ce qui touche à de véritables mode de vie (homéopathie, bio, acupuncture…)".
Après réflexion je me rend compte
que je suis particulièrement sensible à cette confusion entre respect et valorisation parce que ce n'est pas la première fois que je croise ce débat. Un des mots fondateurs au Muséum de Toulouse dans notre travail a toujours été le croisement des regards. Aborder la science et la nature par diverses approches, avoir du respect et être en capacité d'échanger avec des approches non scientifiques ou non rationnelles du monde. Dans mon travail d'accompagnement des médiateurs dans leurs conceptions d'animations, il m'est arrivé d'avoir à débattre sur cette limite et d'avoir à rappeler que le rôle du Muséum n'était pas de faire la promotion du chamanisme, de l'homéopathie, de la religion, ... même si l'établissement s'évertuait au dialogue et aux respects de ces approches/visions/valeurs/...Revenons en à notre Manifeste.
Ce qui est pour moi choquant, c'est que l'objectif de fond de ce paragraphe est l'ouverture et le dialogue. Or comme cela est d'ailleurs plus ou moins dit, cette démarche est incompatible avec l'attitude condescendante et dogmatique que peut parfois adopter la science.
Mais poser comme nécessaire la valorisation des savoirs profanes est pour moi : fondamentalement condescendant.
En effet, pour moi, les raisons qui pourraient amener à la nécessité d'une valorisation (plus que d'un simple respect dans un dialogue) me semble pouvoir être de deux ordres. D'abord dans le cas d'un dialogue où les idées en présence sont déséquilibrées par les a priori du public. Le rôle de l'animateur peut alors être de rééquilibrer les choses. Mais attention, l'animateur est, dans ce cas, hors du débat (voir au dessus !) et ne peut participer en tant que contributeur, ce serait malhonnête. Ensuite, et c'est pire ! L'explication peut être que l'un des dialoguistes est si sûr de ses positions qu'il valorise la position adverse car il se sait hors de portée (peut être dans l'espoir de faire croire à un dialogue équilibré).
Dans tous les cas il en va d'une certaine condescendance qui est à l'opposé de ce que semble vouloir indiquer le paragraphe.
La preuve d'ailleurs que tout cela est complexe et qu'il ne faut pas, sous prétexte de tolérance ou d'ouverture d'esprit, perdre en clarté, c'est que la suite de ce paragraphe du manifeste indique : La connaissance scientifique, au milieu de cet enchevêtrement de représentations, peut lui être utile pour corriger ses idées reçues, compléter ou affiner son jugement, réviser une valeur ou déconstruire une croyance. Que de condescendance à nouveau !
Pour ma part, qui comme je l'ai dit plus haut est déjà été confronté à ce type de débat, je "milite" pour que la science (et la CST avec) assume son incompatibilité avec certaines visions ou approches. L'incompatibilité n'interdit pas le dialogue, bien au contraire. Si elle est assumée, elle évitera les faux semblants et les fausses "ouvertures d'esprit". Cette attitude franche et honnête me parait essentielle pour permettre un vrai échange et un vrai dialogue.Pour conclure un peu plus positivement, j'invite tout lecteur à aller lire et participer au manifeste du collectif Révoluscience. Si le texte m'a choqué sur ces extraits, c'est avant tout parce qu'ils me semblaient justement en contradiction avec l'essence de ce projet dont l'ouverture serait difficile à remettre en cause - Aller y faire un tour !
A lire, sur le blog 'scienceblog' une critique assez acerbe du manifeste Revoluscience. Ou comment (re-)placer (et non pas rem-placer) le scientifique dans la démarche de communication (au sens large) de la science.
RépondreSupprimerhttp://scienceblog.free.fr/index.php/886/2010/09/07/un-vent-de-revoluscience/
Bonjour Thomas,
RépondreSupprimersi je résume, tu es d'accord pour respecter les croyances populaires mais pas pour valoriser les savoirs profanes ? Ce second point provient en réalité des débats sur les savoirs profanes tels qu'initiés par les sociologues (des sciences) ces dernières décennies. Si tu lis Brian Wynne ou Michel Callon, par exemple, je pense que tu seras convaincu de l'utilité de compléter les savoirs académiques par les savoirs profanes (c'est-à-dire les savoirs locaux, personnels, non codifiés ou formalisés). Il ne s'agit pas tant des croyances (Dieu, homéopathie…) que des expériences du paysan, du malade, du riverain qui concernent la même réalité que celle étudiée par l'agronome, du médecin, de l'ingénieur mais sous un autre regard.
L'incompréhension vient sans doute que l'on parle dans ces deux cas (respect des croyances populaires et valorisation des savoirs profanes) de jugements profanes différents et de moments différents dans la médiation (en aval dans le premier cas, en amont dans le second).
@Enro
RépondreSupprimerD'après ce que j'ai compris du billet, c'est surtout la forme du manifeste qui pose problème (et j'avoue y avoir été aussi sensible). Un ton qui peut être interprété comme condescendant, alors que de toute évidence c'est le but inverse qui est recherché. C'est un peu contradictoire.
Ensuite, sur le fond. En cherchant à 'respecter' et 'valoriser', avec les meilleures intentions du monde, on peut facilement tomber dans certains militantismes et passer de 'valoriser' à 'promouvoir'. Et ce d'autant plus, comme tu le soulignes, qu'il peut y avoir confusion entre 'croyance populaire' et 'savoir profane'. C'est à dire entre croyance et savoir.
Condescendance, n. f. : Bienveillance mêlée de mépris; comportement hautain, arrogant. (définition du Dictionnaire de l’Académie française, repris sur Wikipédia)
RépondreSupprimerEst-ce que "poser comme nécessaire la valorisation des savoirs profanes" est un comportement hautain, arrogant ? Est-ce que le ton du manifeste est condescendant (et vis-à-vis de qui d'ailleurs) ?
A mon avis on mélange le ton un peu offensif du manifeste, qui correspond à sa nature de manifeste, avec la condescendance telle qu'on l'entend en médiation, qui correspond mieux à de la bienveillance mêlée de mépris. Je ne crois pas que les deux aient beaucoup en commun…
P.S. (disclaimer) : Je suis membre du groupe, Traces qui a participé à l'élaboration du Manifeste.
@Malvina
RépondreSupprimer2 points m'embêtent effectivement dans cette partie du manifeste. Comme tu le dis, il y a la forme que je trouve condescendante et qui me semble déservir le propos de fond. Mais il y a également une confusion des genres entre "respect" et "valorisation", confusion que tu précises (merci !) en ajoutant une dimension qui me manquait la "promotion".
On pourrait donc dire que dans cette réflexion, il y a 3 niveaux d'implication à distinguer :
- le respect (on ne dit rien),
- la valorisation (on dit que ça existe et on le met en valeur),
- la promotion (on dit que c'est bien et on veut "convertir" l'autre).
Et comme le dit Enro, il faut encore bien préciser à quoi s'applique chaque item !!!
@Enro
C'est très agaçant d'être fondamentalement d'accord sur le fond et de si peu se comprendre !!!
Comme tu le dis très bien, le problème ne porte pas tant sur le respect ou la valorisation que sur ce à quoi ces termes s'appliquent. La valorisation des savoirs-profanes me semble nécessaire, notamment dans une dynamique de culture (en précisant l'obligation essentielle d'une limpidité quant aux processus d'élaboration des différents savoirs, mais c'est un autre débat !). Ce qui m'énerve dans le manifeste, c'est justement qu'il s'abstient de clarifier les choses.
Quand comme moi, on est sensible à ce sujet, après avoir lu la proposition principale, on cherche à savoir que recouvre précisément les termes "croyances" et "savoirs-profanes". On s'attend à une clarification du type de celle que tu me donnes en commentaire. Et bien non !!! On met dans le même sac : "tours de mains du cuisinier, aux remèdes de grand-mère, aux opinions anti-OGM ou pro-phytothérapie, voire à ce qui touche à de véritables mode de vie (homéopathie, bio, acupuncture…)".
En conclusion et pour un peu d'humour : je suis d'accord avec toi, mais tu ne me sembles pas d'accord avec ce que dit le manifeste.
Pour moi, si l'on veut laisser un flou sur ces "croyances" et "savoirs-profanes", seul le respect peut être mis en avant. A l'inverse, si l'on souhaite parler de valorisation, il faut impérativement clarifier ce à quoi on l'applique.
@Enro 2
Quant à la condescendance : je ne suis pas d'accord avec toi. Le ton du manifeste me semble plus condescendant que offensif. Pire, il y a une forme de condescendance de fond à ne pas vouloir tenir pour hypothèse de base que savoirs scientifiques et savoirs profanes sont également valorisables ou à valoriser. Pourquoi une place spécifique aux "savoirs profanes" ? C'est en cherchant la réponse à cette question que mon billet conclue à une forme de condescendance.
@Thomas : Merci pour ces explications, il y a certaines choses que je comprends mieux. Je ne me fais pas ici la voix du collectif Revoluscience mais sans doute que le manifeste pâtit ici de l'exercice périlleux qu'il représente (s'adresser à des médiateurs très hétérogènes dans leur réflexion sur ces questions et plaider à l'excès dans un sens pour remettre la balance à peu près au milieu)… finissant par s'aliéner des esprits plutôt compatibles a priori !
RépondreSupprimerEn tous cas, sachez que nous avons mis en place exprès une version du manifeste commentable ligne par ligne, afin que vous puissiez mettre en avant ce qui choque exactement… et éventuellement proposer des reformulations. Merci !
http://revoluscience.eu/manifeste/
Bonjour Thomas, Malvina et Enro,
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce débat très intéressant et que je crois nécessaire.
Que certaines parties du Manifeste paraissent condescendantes est effectivement totalement à l'opposé des idées de ses initiateurs, et donc un problème important. Le terme valoriser est ceci dit très ambigu. Et plutôt que "valoriser" je dirais plutôt "donner une juste place" (j'essaye ci-dessous de dire ce que j'entends par là) à la fois aux connaissances scientifiques et aux savoirs profanes.
Ayant également contribué à l'élaboration de ces textes, voici comment je comprends cette proposition. Il y a, comme le dit Thomas, une nécessité de percevoir ce à quoi s'applique "valorisation", ou "respect", etc.
Pour ce qui concerne les domaines explicatifs respectifs des savoirs profanes et des connaissances scientifiques, nous sommes absolument d'accord sur l'existence d'une incompatibilité de nature ("L'incompatibilité n'interdit pas le dialogue, bien au contraire" : là encore une fois tout à fait d'accord).
La lecture de S. J. Gould, m'avait à ce sujet mis les idées en place. Je cite ici wikipédia :
"Le principe du « NOMA » (de l'anglais : Non-Overlapping Magisteria, non-recouvrement des magistères) prône le respect mutuel, sans empiètement quant à la pulsion humaine à comprendre le caractère factuel de la Nature (le magistère de la Science), et le besoin de trouver du sens à sa propre existence et une base morale pour toute action (le magistère de la Religion) (Et Dieu dit : « que Darwin soit », p. 163)[3]."
Il était alors question de la relation entre créationnisme et darwinisme.
Pour moi, cela signifie simplement que le médiateur, le chercheur, l'enseignant, doit être capable de définir ce qui fait la spécificité de chacun (qu'est-ce que la science ? qu'est-ce qui rend cette connaissance spécifique ?), et ne pas sortir de son "magistère" au risque de ne plus respecter l'existence du second.
Mais c'est également valable à l'échelle individuelle : par une approche réflexive de son activité, chaque scientifique ou porteur d'un discours scientifique, doit faire la différence entre l'un et l'autre (entre ses propres croyances et idées reçues et ce qui relève de la connaissance construite scientifiquement). Si on s'applique à soi-même ce que l'on met en œuvre dans l'activité de médiation, il ne peut dès lors pas y avoir de place pour une quelconque condescendance.
En cela je rejoins B. Jurdant sur la nécessité de la prise de conscience de "la perspective depuis laquelle on parle". (voir son intervention "Communication scientifique et réflexivité, à Lyon, en 2009, disponible en ligne)
Du coup, si je reprends la liste des niveaux d'implication :
-respect (on entend et on dialogue avec sans jugement de valeur)
- valorisation (on dit "où" ça existe afin de préciser où l'on se place en tant que médiateur scientifique, et dans le cadre d'une animation, d'une exposition, etc.) La valorisation peut alors consister simplement en une reconnaissance de l'existence et une absence de jugement, sûrement pas en un discours démagogique ou condescendant. Quel autre mot pourrait-on alors trouver ?
- promotion (on explicite les valeurs que l'on y associe ; on dit que l'on sort alors du "magistère" de la science")
Bien d'autres points soulevés dans votre échange mériteraient d'être discutés. Discussion que je continuerais avec plaisir ici ou sur le blog du Manifeste.
Si vous êtes d'accord, nous pourrions renvoyer à votre blog pour rendre accessible depuis le Manifeste le débat qui y est né.
Salut, comme Nicolas à diffusé à la ronde via Knowtex je me suis fendu d'un commentaire que vous trouverez là.
RépondreSupprimerTimothée a réagi et en lisant la question de Mélodie (valorisation […] Quel autre mot pourrait-on alors trouver ?) je me demande si "évaluation" n'est pas plus juste. Mais valorisation va très bien en se rappelant que la valeur peut être soustraite.