mercredi 16 juin 2010

Doit-on continuer à vouloir susciter des vocations scientifiques ?

"Une 'mise en culture' de la science permet aussi de diminuer les terreurs que les avancées scientifiques peuvent induire au sein des populations, de produire de nouvelles vocations et de favoriser une prise de conscience de l'intérêt du débat citoyen autour de questions actuelles." (1)

Cette phrase, à propos du cas particulier de la culture scientifique en Afrique, résume assez bien les enjeux qui sont souvent invoqués pour justifier toute action de vulgarisation et/ou médiation scientifiques en général.

Elle énonce trois des principaux enjeux que j'ai souvent eu l'occasion de voir ou d'entendre :



1- diminuer un rejet de la science basé sur une incompréhension
2- susciter des vocations scientifiques
3- transformer des neuneus qui votent par pulsion, en des 'citoyens éclairés' qui agissent et votent 'en toute connaissance de cause' .

Personnellement j'ai un peu de mal avec chacun de ces points. Je vais tenter d'exprimer cela comme je peux, et pour essayer de ne pas trop m'embrouiller, cela donnera 3 billets.

Je vais commencer par le point 'susciter des vocations scientifiques', qui est pour moi, le plus simple à remettre en cause.

Pour être moi-même passée par la case 'thèse', vouloir inciter des mômes à se rêver en chercheur aujourd'hui, c'est comme encourager un gamin à devenir soldat en 1913 : ce n'est pas gentil.

La recherche, elle ressemble plus à un bébé phoque sur la banquise qu'à un vaisseau amiral ou une arche de Noé. Elle ne sauve plus rien ni personne, elle a plutôt besoin d'être sauvée (2) (3). Donc tant que la recherche ne se sera pas trouvée une identité et un fonctionnement satisfaisants ce n'est peut-être pas la peine de 'forcer' des vocations. Ou du moins pas plus que pour inspecteur des impôts, banquier, artiste de rue, plombier ou animateur de JT.


Les discussions que j'ai régulièrement avec des chercheurs aujourd'hui ne m'amènent malheureusement pas à réviser ce jugement. S'ils sont tous convaincus de la nécessité de faire de la science aujourd'hui, la plupart avouent qu'ils ne se sentent plus en mesure d'encourager des jeunes à prendre leur relève.

Dans ce contexte, j'ai l'impression qu'un des objectifs pourrait-être de chercher à déclencher un "intérêt désintéressé" pour l'objet science. C'est à dire, plutôt que de succiter une ou deux 'vocations', de participer à maintenir chez le plus de personnes possible le plaisir du questionnement sur le monde. Chercher à comprendre, repousser chaque fois ses propres limites de compréhension, réévaluer sa perception du monde. Ce que j'ai aimé dans le travail de chercheur, c'est bien cette gymnastique mentale, cette nécessaire navigation entre certitudes et remise en question. Et, pour moi, c'est bien cela que j'ai envie de transmettre, une 'posture scientifique' qui peut s'exprimer dans n'importe quelle situation, dans n'importe quel métier. Pas besoin d'être chercheur, pas besoin d'être touché par la "grâce" d'une "vocation"... enfin j'espère...


(1) http://www.latitudesciences.ird.fr/diffuser.htm





Pour lire des gens qui vont plus loin :

1. A qui profite la vulgarisation scientifique :
http://www.leprisme.eu/blog/?p=317

2. Les gens ne savent rien, il faut y remédier :
http://www.leprisme.eu/blog/?p=242#n5

3. Comment montrer la 'science en train de se faire' :
">http://enroweb.com/blogsciences/index.php?2008/05/31/261-comment-montrer-la-science-en-train-de-se-faire>

12 commentaires:

  1. A 100% d'accord avec ta conclusion, je te propose une explication à ce comportement "pas gentil". Elle n'est certainement que très partiellement vraie, voir presque complètement fausse ... mais bon, on est là pour réfléchir !

    La recherche française est réalisée aujourd'hui par environ 58000 enseignants-chercheurs censés être à mi-temps sur l'enseignement et 27000 chercheurs dans les organismes de recherche (sans compter bien sûr tous les autres acteurs de la recherche).
    Cela signifie que la moitié de la recherche est faite par des personnes dont la moitié des revenus est directement lié au nombre d'étudiants inscrits en science.

    Sans prêter d'intention vénale à chaque défenseur d'une CST devant provoquer les vocations, je trouve que c'est un aspect à méditer, non ?

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  2. @Thomas
    Peut-être, sauf que:
    1- les revenus des maitres de conférences actuels ne sont pas impactés par le nombre d'étudiants actuels. C'est la reconduction du poste lors du départ à la retraite qui peut éventuellement être menacée.
    2- et surtout, dans la plupart des cas, ce ne sont pas les chercheurs qui défendent la CST en général et le déclenchement de vocations en particulier.
    La plupart des personnels de laboratoire (techniciens et chercheurs) impliqués dans des actions de CST que j'ai rencontré n'avaient aucunement l'ambition de déclencher des vocations.

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  3. Que ce billet me fait plaisir :-) Effectivement la question de vocation est un leitmotiv redondant dans les discours sur la CST (y compris dans des travaux de recherche censés objectiver le concept, qu'on parle de CST, de vulgarisation, de public understanding of science etc.). Dans la même série il y a comme vous le noter la visée démocratique (renouer le dialogue entre scientifique et citoyen et faire en sortes que ceux-ci sachent de quoi on cause avant d’aller voter) , il y a aussi la visée économique (dans nos économies dites de la connaissances il nous faut des gens cultivés scientifiquement sinon on va se faire bouffer par les chinois qui maintenant ont des universités), la visée pragmatique (les gens utilisent un téléphone portable c’est important qu’ils sachent comment ça marche) sans oublier la visée délectative (c’est tellement génial et passionnant de toutes façons la physique des particules !). Au final tout ça, n’est souvent qu’une vaste entreprise de légitimation (sincère) de la science et de la recherche par les acteurs de la science et de la recherche.
    Je m’égare. Pour revenir à la question des vocations, je ne suis pas sure qu’il ne faille pas encourager les étudiants à aller jusqu’à la thèse. Le doctorat plutôt qu’une formation à la recherche peut être vu comme une formation par la recherche, pour faire autre chose en suite. Le problème c’est qu’en France, cela n’est absolument pas valorisé. Le doctorat est louche, alors qu’en Angleterre (en autre) un PhD c’est classe ! Mais j’ose espérer que c’est en train de changer, enfin j’espère car d’ici 6 mois je ne compte m’engager sur le chemin de croix que suivent tant de jeunes chercheurs.

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  4. Je voyais l'argument "susciter des vocations scientifiques" comme plus large, incluant aussi les carrières d'ingénieurs par exemple. Car il me semble que c'est de ce côté là qu'on manque de têtes (et "qu'on va se faire bouffer par les Chinois" (et les Indiens) comme dit Marine). Je ne sais pas si c'est encore d'actualité mais on disait à un moment qu'il y avait plus de places offertes que de candidats aux concours des écoles d'ingénieurs (certains, il est vrai, préférant redoubler pour intégrer une école plus réputée).

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  5. Moi je trouve ça dommage de réduire la vocation scientifique à ce que dit ce billet. C'est triste et donne une image très négative.
    Tellement négative que je n'ai pas pu m'empêcher de répondre sur le blog Air@Dés
    http://www.r-d.paris-montagne.org/index.php/2010/07/06/doit-on-continuer-a-vouloir-susciter-des-vocations-scientifiques/

    Mon but n'est pas de fâcher les gens, mais de faire entendre mon point de vue sur ce billet, et de rendre le débat peut-être plus large que ce qu'on en dit sur cette page.

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  6. je pense que susciter des vocations scientifiques ne se résume pas à motiver les jeunes à devenir chercheur et faire un doctorat.Il existe des centaines de postes et de métiers ou l'on peut s'épanouir en restant proche de fondamentaux de la recherche scientifique, à savoir pourquoi et comment fonctionne notre environnement et nous même ?
    une question plus fine serait : devons nous motiver les jeunes à faire un cursus universitaire pour devenir chercheur ?

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  7. "Pour être moi-même passée par la case 'thèse', vouloir inciter des mômes à se rêver en chercheur aujourd'hui, c'est comme encourager un gamin à devenir soldat en 1913 : ce n'est pas gentil."
    Vision étonnamment nationaliste de la recherche. S'engager dans une thèse aujourd'hui, ce n'est pas signer pour caserner, c'est sûr. Mais ce n'est pas non plus la menace de monter au front se faire massacrer par les salauds d'en face. Au contraire, la fraternisation individuelle avec l'étranger est hautement recommandée. En outre, il semble que vous confondiez "chercheur" avec "fonctionnaire du ministère de l'enseignement supérieur et de La Recherche". Le fait de ne pas prendre un poste dans le système académique français après une thèse n'est pourtant pas synonyme d'échec (si à 50 ans on n'est pas DR1 ou PR1, c'est qu'on a raté sa vie?).

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  8. Il me semble que l'on s'égare quelque peu ... Certes le ton est acerbe et cynique, les images quelques peu provoquantes, cela n'empèche que la question de fond reste entière : Pourquoi la médiation ou vulgarisation scientifique aurait cette drôle de mission de succiter des vocations ?

    Dans le champ des autres cultures, imagine-t-on qu'un danseur, un chorégraphe se donne pour objectif de succiter des vocations de danseur ?!!
    Image-t-on que le peintre ou même le musée d'art cherche à faire en sorte que les publics aient l'envie de devenir artiste ou d'embrasser une carrière à la DRAC ?

    Je n'ai pas de réponse au pourquoi de cette spécificité de la CST par rapport aux autres formes de cultures et les réponses que j'entrevoie sont toutes plus provocatrices ou cyniques les unes que les autres (voir le premier commentaire à ce post).
    Une piste tout de même : beaucoup des acteurs de la diffusion de la CST ont été ou sont des acteurs de la recherche, ce qui ne me semble pas être le cas dans d'autre domaine culturel !

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  9. Thomas, je ne crois pas que beaucoup de chorégraphes cherchent à susciter des vocations de danseurs ... mais ils sont souvent très attachés à l'éducation du grand public à la danse ! Parce qu'ils souhaitent partager leur passion bien sûr, d'une part, et parce qu'il faut bien convaincre le contribuable que les subventions publiques servent à produire quelque chose de valable.

    Pour ma part, je ne crois pas à cette spécificité de la CST. Je pense (naïvement peut-être) que les chercheurs qui y consacrent du temps et de l'énergie sont d'abord mus par l'envie de communiquer leur savoir et leur enthousiasme pour un sujet. Ensuite, par celle de lutter contre l'obscurantisme qui menace quand le grand public est scientifiquement illettré.

    Certains d'entre eux ne peuvent s'empêcher d'essayer de convaincre leur interlocuteur que leur métier est le seul qui vaille le coup. Mais c'est humain. De nombreuses personnes m'ont fait le coup : profs, ingénieurs, banquiers, consultants ... et même bonnes soeurs !

    Qu'il y ait moins d'étudiants en sciences, ça attriste peut-être un peu les chercheurs, mais surtout les ministères et les entreprises, qui manquent de scientifiques (techniciens et ingénieurs plutôt que chercheurs). Ce sont eux qui financent la CST et je pense qu'on a plus de chances d'obtenir des subventions en leur promettant des légions de nouveaux étudiants en sciences plutôt qu'en leur disant qu'on s'éclate à faire découvrir la physique aux écoliers.

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  10. De toute évidence la question 'vocation scientifique = 1 objectif de la CST" se pose, et de façon assez complexe.
    D'une façon générale, quand je parle des objectifs ou enjeu de la CST, je me place du point de vue des 'médiateurs' de 'métier'. Pas des personnes qui le font, en plus de leur métier (quel qu'il soit), pour des raisons qui leurs appartiennent. Qu'un chercheur ait envie de convaincre ses étudiants, ou autre. Très bien.

    Ce qui me gène, comme le dit un peu @Anne, c'est que cet objectif 'succiter une vocation', arrive souvent avant 'c'est fun de faire percevoir à quelqu'un ce qu'est la physique quantique' (pour soi et pour l'autre!).

    Enfin je me rend compte, grâce à vous, que la phrase toute faite "succiter une vocation scientifique" est utilisée régulièrement, sans que 'vocation' et 'scientifique' ne soient définis. Chacun mettant ce qu'il veut derrière, et souvent quelque chose de différent du voisin (ou de l'interlocuteur qu'il cherche à convaincre).

    En tous cas, l'ensemble des commentaires m'aura permis de voir confrontées différentes opinions sur le sujet.

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  11. @ Luc Allemand : oui, je suis assez d'accord sur le fond. Mais dans la pratique (en tout cas celle que j'observe de mon côté), j'ai l'impression que quand il s'agit de faire intervenir un 'représentant du monde scientifique', pour une conférence par exemple, on va souvent chercher un 'fonctionnaire du ministère de l'enseignement et de la recherche' et si possible un maitre de conf', un CR ou un Prof. Donnant ainsi une image au 'grand public' que la 'science' ce sont ces personnes là (et elles en font partie, je ne dis pas le contraire) et uniquement celles là.
    Et que non, quand on fait un métier qui nous plait, on n'a pas raté sa vie, même si on n'a pas suivi le même chemin que son voisin.

    @Marine : mais oui un phd c'est la classe, tout ce dans quoi on a mis de la passion et de l'énergie c'est la classe, il ne faut surtout pas perdre cela de vue. Bonne continuation pour la suite.

    @François. Oui, comme je l'ai dit dans le commentaire précédent 'vocation scientifique' à définir. Parce que honnêtement, sur le nombre de fois ou je l'ai entendu, il y avait tout de même beaucoup de cas ou ce qui était sous-entendu c'était bien 'devenir chercheur'.

    @Chloé : Thomas a répondu sur ton blog. Mais pour préciser, honnètement, si mon simple billet de blog est capable de dissuader qui que ce soit de faire une carrière scientifique. C'est que ce n'était pas vraiment une vocation.

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  12. A propos de faire de la recherche en France... un petit mal être quand même :
    http://www.rue89.com/2010/11/25/chercheur-je-quitte-ces-labos-francais-qui-manquent-de-tout-177561

    Ce n'est qu'un témoignage individuel, pas une généralité... mais à réfléchir tout de même

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