Ce billet fait suite à un précédent billet que vous trouverez ici , où j'essaie de réfléchir aux enjeux de la culture scientifique. Plus exactement, j'essaie de formuler ce qui me gène dans les arguments que j’entends le plus souvent.
J'ai commencé à travailler dans la culture scientifique un peu par hasard, parce que l'occasion s'est présentée, et parce que ça me plait.
J'ai toujours vu le boulot comme étant quelque chose qu'il me fallait faire avec plaisir avant tout. Je n'ai pas, au départ, de vocation à améliorer le monde ou quoi que ce soit dans le genre.
Ca, c'est le début de l'histoire. Ensuite, forcément il faut vendre sa marchandise, justifier son job. Répondre à la grande question "à quoi ça sert?".
Et apparement , repondre "à rien", ça n'a pas l'air d'être une option.
"Parce que c'est sympa, non? " n'est pas la réponse attendue non plus.
De toute évidence il faut trouver autre chose. Alors j'écoute ce qui se dit autour de moi, je lis (un peu)... et honnêtement, je n'ai pas encore de réponse totalement satisfaisante.
Aujourd'hui, je m'interroge sur ce que Marine appelle dans l'un de ses commentaires, la "visée démocratique" et qui peut se résumer à quelque chose comme :
Donner des connaissances, une compréhension de données scientifiques au plus grand nombre serait un pré-requis nécessaire à une position collective valable sur (au choix) :
- les OGM
- le climat et les émissions de CO2
- les antennes relais
- la bioéthique
- les nanotechnologies
- etc...
Une position éclairée donc, sur ces débats qui constituent l'actualité médiatico-scientifique du moment.
Mais finalement, ces débats, se déroulent-ils vraiment sur le champ (ou le pré carré, c'est comme on veut) de la science ?
A-t-on vraiment besoin de comprendre exactement comment un gène de bactérie est introduit dans un génôme de maïs pour avoir un avis sur le positionnement de Monsanto sur le marché de la semence et des pesticides ?
Et les nano ?... hyper dangereux? un bienfait pour l'humanité?... que l'on comprenne ou pas ce qu'est un nanomatériau on arrive rapidement à la même conclusion :"C'est comme tout ma bonne dame : un peu des deux ". La réponse à la dangerosité des nanos, ce n'est pas la science qui nous l'apporte, c'est l'Histoire. Une nouvelle technologie apporte son lot de bénéfices et de dangers. On le sait, et on ne peut pas vraiment s'empêcher de continuer à chercher, à expérimenter, quitte à prendre des risques.
Pour le climat : disons que ça se réchauffe à cause de nous. Un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout? Est-ce que c'est vraiment important ? Est-ce que l'on a vraiment besoin de la menace d'un cataclysme planétaire pour repenser notre mode de vie ?
On l'aura compris, ces débats qui se déroulent soi-disant sur le terrain de la science, n'ont plus rien de scientifique... il y a trop d'idéologie, d'enjeux politiques et financiers pour qu'on continue d'en parler comme si ce n'était qu'une histoire de science.
Pour les différents débats médiatiques mettant en jeu (ou plutôt en scène) un aspect scientifique, la science n'a finalement que très peu de réponses à apporter. Dans la plupart des cas, les éléments de réponse (testées, validées, répliqués, fiables) que peut apporter la science n'arriveront que dans 10,15 ou 50 ans. Délais que ne peuvent pas attendre les prises de décision sur ces sujets.
J'ai l'impression que si l'on prend le temps de comprendre les aspects scientifiques de ces débats d'actualité, on se rend compte que cela ne sert qu'à peu de choses pour l'avancé du débat. Les questions, et les réponses à apporter étant à chercher ailleurs.
Il me semble que l'on cherche à faire jouer à la science (à travers les scientifiques eux-mêmes, puis à travers les citoyens que l'on aura 'instruits' grâce à la culture scientifique) un rôle d'arbitre dans ces débats. Un arbitre impartial (ok), omniscient (moins), capable de trancher entre un 'bon' et un 'mauvais' choix (encore moins).
Ces débats sont à mon sens à replacer dans leur contexte politique et social, sur le champs des valeurs. A chacun d'assumer les valeurs qu'il souhaite défendre, et de les défendre en tant que telles, sans tenter de les déguiser en 'vérité scientifique'.
Pour en revenir au rôle des acteurs de la culture scientifique là dedant, je me demande (si le but fixé est la visée démocratique de la CST) si expliquer, faire comprendre ce qu'est la science, ne revient pas, à terme à démontrer, qu'en matière de démocratie, la culture scientifique ne sert pas à grand chose (je n'ai pas dit à rien).
Entre science et démocratie, j'ai le sentiment que le lien est à chercher ailleurs. Mais je ne suis pas sûre de par ou commencer...
Pour le moment, je me limite donc à penser que l'un des rôle d'un vulgarisateur et/ou médiateur, pourrait être de remettre la science à son humble place. Ne pas tenter de lui faire jouer un rôle qu'elle n'a, par définition, pas à jouer. Et ce, pas pour la dévaloriser, mais bien pour éviter qu'elle ne déçoive à nouveau par une différence trop grande entre des attentes démesurées avec des réponses qu'elle ne peut fournir. Et permettre à chacun de l'apprécier à sa juste valeur, pour ce quelle est : une curiosité de comprendre le monde.
Mais forcément, la curiosité, ce n'est peut-être pas assez vendeur comme argument...
Et si la culture scientifique permettait justement d'éclairer le caractère non-scientifique de ces débats ... Ne retrouverait-on pas une dimension démocratisante de la CST !
RépondreSupprimerDit différemment : la CST peut permettre de sortir certains débats pseudo-scientifiques du giron de la science pour les replacer à leurs justes places : le débat démocratique et polititque de valeurs.
Un autre point à noter c'est que dans ta réflexion tu n'abordes les actions de CST que sous leurs dimensions de contenus. C'est d'ailleurs souvent le sous-entendu qui va avec cet enjeux de démocratisation. Pourtant, les actions de CST portent aussi souvent sur la démarche, l'esprit critique, la réfutabilité, l'importance des faits, les rapports théories/faits, ... Ces éléments me semblent capable d'apporter beaucoup au débat démocratique.(au passage voir le précédent billet sur la sacrosainte démarche scientifique en CST)
Enfin pour finir, (je sens qu'il y a potentiellement pas mal à réfléchir donc je vais juste effleurer l'idée) la sciences ET la CST ont toutes deux des valeurs qui ont potentiellement leurs places et leurs rôles à jouer dans les débats démocratiques.
Il me semble qu'il faut de la mesure en toute chose. Oui, en démocratie, les décisions doivent être prises collectivement et il est impossible de demander leur avis aux citoyens sur la bioéthique si personne ne sait ce qu'est un diagnostic pré-implantatoire. Donc la formation est essentielle, sauf à avaliser une polyarchie scientifique qui décide pour nous. Nous vivons dans une techno-sphère, nous sommes entourés d'artefacts techniques, produits par la recherche scientifique et nous devons impérativement partager cette culture scientifique collectivement pour donner du sens à notre univers, orienter selon nos valeurs les recherches qui doivent être faites. Donc il est vital pour la démocratie que la population soit scientifiquement cultivée.
RépondreSupprimerMaintenant, le niveau d'information et de connaissance nécessaire pour se prononcer n'est sans doute pas très élevé, comme vous le soulignez à juste titre. (Encore faut-il avoir seulement entendu parler de nanotechnologie!).
Quand à l'esprit dont parle le commentaire précédent, il est également essentiel. La démarche de recherche, un peu d'épistémologie contribuent à éclairer les citoyens, et à développer leur esprit critique dans un contexte médiatique où tout et n'importe quoi circulent. Prenons l'exemple de la controverse sur le climat : ceux qui savent ce qu'est une démarche scientifique sont certainement plus à même de faire la part des choses que ceux qui ne lisent dans ces controverses que des querelles politiques, bonnes à alimenter les scepticismes et relativismes de tout acabit.
Bref, je milite ici et auprès de mes étudiants pour une prise de conscience aigue de la relation entre partage du savoir et démocratie. C'est même une responsabilité publique de celui qui sait de partager ses connaissances.
Malvina, Thomas, je vous tire mon chapeau pour oser aborder ce sujet de front ! Jusqu'à il y a peu, je misais beaucoup aussi sur la CST comme facteur de démocratie. Aujourd'hui, je suis convaincu que les actions de CST sont surtout des actions qui créent du lien social, un prétexte à entrer en relation avec son voisin, ses parents, ses concitoyens. J'aime l'idée de curiosité mise en avant par Malvina, sachant que l'importa est le *partage* de cette curiosité.
RépondreSupprimerMais forcément, ce n'est pas très vendeur non plus comme mission !
A la question "à quoi ça sert la culture scientifique ?", un de mes amis répond toujours : "à rien... C'est comme Mozart, ça ne sert à rien...".
RépondreSupprimerA méditer ?
@ Laurence : si l'ensemble de la population peut acquérir des notions de démarche scientifique (c'est sans doute un objectif qui peut être atteint dans quelques siècles), il semble par contre impossible que nous ayons tous un jour assez de connaissances dans tous les domaines scientifiques pour trancher sur tous les sujets techno-scientifiques ayant un impact sur la société, car ceux-ci demandent souvent des connaissances pointus ou même de base très divers.
RépondreSupprimerJean-Marc Lévy-Leblond a même démontré que la plupart des scientifiques, en dehors de leur champ d'étude et donc d'expertise, ont un niveau de culture scientifique qui était comparable au reste de la population (c'est-à-dire souvent très bas !).
Pour répondre à des sujets complexes, socialement sensibles et touchant à la techno-sphère, les pays scandinaves ont mis en place depuis la fin des années 80 le principe des conférences de consensus. On est dans la notion de démocratie participative. Je vous laisse faire quelques recherches sur le net là-dessus si ça vous intéresse. Il y a eu des conférences de consensus notamment dans le domaine de la santé et de l'environnement.
Bonjour !
RépondreSupprimerOui, je connais bien toutes ces démarches participatives qui s'appellent conférences de consensus, ateliers citoyens ou autre chez nous. Ils font partie de ces dispositifs qui se multiplient partout en Europe en particulier où l'on cherche à recueillir l'avis des profanes sur des sujets scientifiques et techniques. Ces démarches se multiplient aujourd'hui dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'urbanisme, des usines à risque, de l'environnement (depuis la ratification de la convention d'Aarhus). Bref, nous avons maintenant une obligation constitutionnelle de consulter le public à de très nombreuses reprises sur des sujets scientifiques. Donc c'est simple, soit on considère que la démocratie c'est trop compliqué pour nous, soit on s'attèle au problème en sachant que le mieux est l'ennemi du bien et on avance. Le niveau de culture scientifique en Europe est déjà sans commune mesure avec des tas de régions du monde. C'est ce qui permet de faire de nous des pays innovants dans le respect des règles démocratiques.
Ce point est fondamental : si vous considérez vos concitoyens comme des imbéciles incapables d'apprendre, vous considérez également que nous ne méritons pas notre régime démocratique. Après tout qu'est ce qui nous permet de voter pour un président de la république alors que nous n'y connaissons rien à la finance, rien à la politique internationale et pas grand chose à tout le reste ? Comme le dit le philosophe John Dewey : La démocratie est un acte de foi, il faut y croire et se donner les moyens plutot de que dire qu'on y arrivera jamais.
Donc oui, c'est désespérant de voir combien on se dépense pour faire partager des savoirs et on a souvent l'impression de souffler dans un violon. Mais à long terme, non seulement ce sont des générations mieux formées qui émergent, mais c'est aussi notre régime démocratique participatif auquel nous assurons un avenir. Je vous rappelle que les discussions sur l'incompétence des citoyens ont émergé sitot après la révolution française et ont servi d'excuse à toutes les formes de dictature. Je vous conseille de lire le formidable ouvrage de Pierre Rosanvallon là dessus : le sacre du citoyen.
Merci de vos blogs sur la vulgarisation des sciences que je diffuse à mes étudiants et sur facebook avec la même volonté militante pour expliquer aux élèves ingénieurs que les savoirs dont ils disposent doivent aussi être mis au service de la collectivité. Ne me lâchez pas là dessus !!!
Merci à tous pour vos commentaires. ça fait plaisir de voir que la discussion se développe et s'étoffe grâce à vous.
RépondreSupprimer@thomas : merci pour le 1er§, ça me fait une jolie conclusion. Pour la suite, je vais y réfléchir.
@DocMuséo : ... à propos de Mozart... oui, j'aime beaucoup la réponse de votre ami. C'est aussi quelque chose que j'ai pas mal utilisé (à quoi ça sert ta thèse?)... et qui appelle la discussion et la réflexion. Mais pas toujours facile à faire comprendre et/ou accepter.
@tous : sur les conférences de citoyens : effectivement, c'est un type particulier de médiation scientifique qui, pour le coup, joue un rôle dans le débat démocratique. Tant par les contenus, que par la forme, par les valeurs qui la sous-tendent : n'importe qui est suffisamment intelligent pour se prononcer sur quoi que ce soit pourvu qu'on lui donne quelques billes et quelques jours suffisent pour ça.
Au plaisir de vous lire.
@Laurence Monnoyer-Smith
RépondreSupprimerJ'ai dû prendre des notes pour rebondir sur ce que vous avez écrit. Point par point ça donne ça :
"(...)donc il est vital pour la démocratie que la population soit scientifiquement cultivée"
Pour moi il est important que la population ai 'envie' de se cultiver, y trouve d'abord du plaisir, que ce soit en science ou ailleurs.
"développer l'esprit critique", oui, 100% d'accord, mais l'esprit critique peut se développer à partir de n'importe quoi, la science n'est à mon avis qu'un petit moyen parmi d'autres potentiellement plus efficaces.
A propos de la controverse sur le climat, honnêtement, la démarche scientifique je connais un peu, et pourtant je ne m'y retrouve absolument pas dans tout le fatras que je lis à droite et à gauche. Il me faudrait un niveau d'hyper-spécialiste que je n'atteindrais jamais. Par contre, je 'sens' bien que quelque chose cloche, et j'aurais envie de changer les choses. Le pourcentage d'implication de l'homme dans le changement climatique, pour moi, ce n'est pas ce qui compte le plus. Ce qui compte c'est de comprendre comment envisager une nouvelle façon de vivre notre environnement.
D'une façon générale, le partage des savoirs scientifiques n'est qu'une goutte d'eau dans l'exercice collectif de la démocratie. La démocratie peut se pratiquer bien mieux à l'école, ou dans une vie de quartier par exemple. Les personnes qui travaillent sur ces terrains, ont à mon avis une responsabilité en terme de démocratie beaucoup plus importante que les médiateurs scientifiques. Ce sont les personnes qui travaillent dans ce genre de contexte qui vont réellement former des citoyens qui vont avoir envie d'aller chercher l'info, de confronter leurs opinions aux savoirs, d'envisager d'autres points de vues que les leurs... A nous de mettre l'info à disposition du mieux possible. Mais ne donnons pas à la "Science" plus de pouvoir qu'elle n'en a réellement.
Au plaisir de vous lire.
PS : Vous parlez de facebook, je ne vous ai pas trouvée..??.. Cela m'intéresserais de savoir comment vous utilisez ce réseau social avec vos étudiants... mais peut-être qu'en faisant le petit effort de chercher avec un moteur de recherche je vais trouver...
Bonjour !
RépondreSupprimerSur facebook je suis Laurence Monnoyer... Je suis bien d'accord que les scientifiques ne sont qu'un des maillons de la chaine du partage du savoir. Les professionnels dans tous les secteurs ont un rôle à jouer, en particulier dans le cadre des démarches participatives qui se multiplient localement. Cet ancrage local est très important puisqu'il concerne la vie quotidienne, au-delà des grandes questions sociales. Tous les maillons ont leur importance et les médiateurs scientifiques qui innovent dans leur accès au public en développant des projets dans la rue par exemple constituent autant de médiations importantes. Donc, gardez la foi dans votre travail et la démocratie s'en portera mieux!
merci pour votre blog que je découvre tardivement ;)
RépondreSupprimerle combat de valeurs masqué derrière une controverse sci est flagrant dans le cas climatoseptiques VS réchauffistes.
Les premiers croient que l'homme et sa technologie s'adapteront au changement climatique, et que la nature est au service de l'homme.
Les réchauffistes sont d'un naturels beaucoup plus bileux...
Bonjour jm galan, (jm? : Jean-Marc, Jean-Marie, Jeanne-Mas, Jeune-Mamouth ???)
RépondreSupprimerBienvenue sur Vulgaris ...
Oui, ce mélange des genres tout bien intentionné qu'il soit contribue à mon sens à la fois à décridibiliser la science et même certains combats de 'valeurs'... tout le monde y perd finalement.
Même si je suis souvent en accord avec les valeurs portées par certains, je reste très sceptique quand à l'instrumentalisation du fait scientifique quelles qu'en soient les raisons.