mercredi 4 juin 2014

De l'intérêt mesuré à voir des responsables pratiquer le terrain

Un bon responsable d'animation serait fatalement un ex-médiateur ou devrait nécessairement assurer lui-même quelques médiations sur le terrain.
J'entends en général divers arguments en faveur d'une présence ou d'une expérience forte de terrain de la part des supérieurs hiérarchiques qui encadrent les médiateurs face-public. Pourtant, cette situation ne comporte pas que des avantages ! Et les risques existent certainement aussi dans d'autres domaines que la médiation.


La pratique du terrain : une mauvaise raison d'être considéré

Le premier argument serait que cette présence ou cette expérience forcerait la considération, le respect, et l'écoute de la part des agents de terrain. C'est un fait qui se constate mais c'est à mon avis une mauvaise chose. En effet, il est tout d'abord assez difficile pour un responsable d'ajouter à son propre travail la participation aux activités de ses subordonnés. En tout cas suffisamment pour assurer une quelconque valeur à cette expérience (voir plus loin). Ensuite, les responsables ne peuvent souvent pas avoir l'expérience de tout ce qui se fait sous leur responsabilité et cela vaut d'autant plus que la personne est haute dans la hiérarchie et encadre ainsi une large panoplie d'activité. Dans le cas de la médiation face-public, la diversité des offres ou des situations rencontrées renforcent encore cette difficulté. Enfin, cette sur-reconnaissance des expériences de terrain participerait de ce qu'on appelle le syndrome de Peters (ou de l'incompétence maximum). Tant qu'un agent est compétent, il monte dans la hiérarchie. Il s'arrête de progresser lorsqu'il atteint un niveau où son efficacité est finalement moindre. Ce syndrome amènerait la hiérarchie à n'être composée que d'incompétents !!! Cette vision « ironique » des choses est malgré tout une bonne illustration d'une réelle erreur dans certains systèmes de promotion. En effet quand il s'agit de promotion interne, les promus tendent à être juger aussi (surtout ?) sur les compétences qu'ils ont mis en œuvre dans leurs postes passés, alors que ces-derniers peuvent être assez éloignés du poste visé. Dans notre cas, les capacités à mettre en œuvre sur le terrain sont assez éloignés de celle nécessaire à un bon manager.
Malgré tout, il faut bien reconnaître que souvent la considération des équipes passe par là et que, à compétences et qualités égales, l'encadrant sans expérience de terrain aura plus à prouver que d'autres. C'est dommage mais c'est comme ça !
Il faut noter au passage qu'à plus long terme, ce type de considération pourrait fort bien s'émousser voir s'inverser dans certains cas. En effet, s'il est demandé au responsable de réaliser certaines médiations, il y a fort à parier que la qualité de ces dernières aillent en diminuant. Activité très annexe et ponctuelle, les prestations du responsable ne pourront rivaliser à long terme avec celles de professionnels dont c'est le cœur de métier.

La pratique de terrain pour un jugement "objectif" des situations

Le deuxième argument consiste en une forme d'expertise du terrain et des réalités des agents encadrés. Oui, bien sûr ! En étant avec l'équipe au travail, le responsable est plus facilement partie prenante de l'équipe « tout court », ce qui facilite les relations. De plus cela permet au responsable de se faire sa propre idée du terrain. Mais attention, cette connaissance est limitée et biaisée par une expérience très partielle. Quelle est la représentativité d'une expérience ponctuelle, isolée, réalisée comme une tâche secondaire ? Comment peut-elle être comparable à l'expérience des agents de terrain dont c'est la mission principale ? On pourra m'opposer qu'il n'y a pas de comparaison possible mais qu'il suffit d'en tenir compte dans ses décisions. Certes mais le responsable aura-t-il réellement le recul de se dire que ce qu'il a vécu dans « ses tripes » n'est qu'une fausse image et que malgré son vécu contradictoire, la réalité est celle décrite par ses agents ? On touche là à un des arguments qui milite en faveur d'une forme « d'inexpérience » des responsables quant aux réalités vécues par les médiateurs qu'ils encadrent (même s'il s'agit d'une exagération provocatrice). Il est en effet beaucoup plus simple pour quelqu'un d'inexpérimenté de considérer pleinement et de façon neutre les retours de ses agents. Les agents deviennent alors les seuls experts du terrain ce qui en plus de les valoriser individuellement, valorise leur position et amène à reconnaître leur pleine place au sein des établissements.
De plus cette pseudo-expérience de terrain du responsable peut avoir un autre effet dévastateur. Parce qu'elle se situe souvent à la marge des fonctionnements, hors-cadre, sans la fatigue ou l'usure de la répétition ou du temps qui passe... l'expérience vécue par le responsable est non-seulement peu comparable « en quantité » à celles des agents mais elle peut l'être également en qualité. Le niveau de prestation attendu peut être moindre, les cadres de la réalisation sont souvent beaucoup plus souples voir inexistants, le public est spécifique… Le résultat est que cela maintien bien souvent les responsables dans une vision très peu professionnelle des métiers de la médiation face-public. « Oh ! C'est facile ! N'importe qui peut le faire ! Je le fais moi-même assez souvent ! ». Curieusement alors qu'on pourrait croire les responsables ayant une expérience de terrain plus sensible à la professionnalisation du métier de la médiation face-public, on voit ici que si l'expérience est trop imparfaite, l'effet peut être inverse.

La pratique du terrain comme culture commune

Bien entendu, l'idéal serait d'avoir une expérience passée du métier des agents encadrés, d'être présent sur le terrain (en tant qu'observateur), de pratiquer le terrain (en tant qu'acteur) et de garder la modestie nécessaire devant la faiblesse que ces expériences représentent face aux vécus des agents.
En effet, à décharge, il faut bien admettre qu'une bonne connaissance et une réelle expérience du terrain et de ses pratiques facilitent le dialogue avec les équipes. Les mots sont les mêmes, la culture est la même ce qui pose les bases d'une communication efficace.
Mais faisant partie d'un des derniers domaines où la promotion à l'expérience est encore reconnue (on peut entrer et progresser hiérarchiquement dans l'animation sans diplôme, ce qui est une bonne chose), le monde de l'animation ou de la médiation face-public tend peut-être un peu trop à oublier les travers de ce système, à réduire toutes les compétences et expériences à celles issues du terrain et finalement à négliger les avantages de promotions plus ouvertes ou croisées.

PS. : il existe dans ce texte un traitement quasi identique entre expérience de terrain passée, présence sur le terrain en tant qu'observateur et présence sur le terrain en tant qu'acteur. Ces 3 réalités sont très différentes et ont des avantages et inconvénients qui peuvent différer. Mais sur les 2 grands argumentaires évoqués ici (considération des équipes et expertises du terrain), les critiques formulées valent dans les 3 cas.

1 commentaire:

  1. J'adore votre article.
    Je ne suis pas dans le métier de la médiation mais votre argumentation est tout à fait généralisable à d'autres activités.
    Issu du terrain, j'anime un réseau d'agents chargés de la prévention des risques professionnels dans les organismes d'une grande administration. J'ai pris conscience de mes limites il y a quelques années et, depuis, je ne cherche plus vraiment à progresser dans la hiérarchie.
    Reste que mon expérience passée m'ouvre une certaine reconnaissance, tant du point de vue des agents du réseau que j'anime que des responsables à qui je rends des comptes.

    RépondreSupprimer