jeudi 31 mai 2012

Clown de science : un truc de dingue

Mes réflexions "presque à chaud" après un atelier sur les clowns de science au congrès de l'AMCSTI 2012.
Je m'y suis rendu sans trop savoir pourquoi. Un a priori tout de même : pourquoi faire du clown un cas particulier parmi toutes les formes de médiation qui existent en CST ? Le congrès ayant pour thème Humour & Science, l'atelier se justifiait. Mais de là à en faire l'activité phare d'une association de CST, de là à voir des personnes très impliquées en CST en faire "tout un plat".
Après quelques discussions, quelques présentations, quelques cogitations me voilà finalement convaincu ... Le clown de science, c'est tout simplement un truc de dingue !

Mon objet n'est pas de parler de cet atelier. Il ne s'agit pas non plus de faire de la pub ou de la critique des 2 intervenants* ou du congrès qui vient de se clore. Je veux juste cristalliser ici quelques réflexions personnelles (ou empruntées à d'autres !) autour de ce phénomène : les clowns de science.

Le clown : un moyen pour servir des objectifs de CST

Utiliser le clown comme un moyen de servir des objectifs de culture scientifique ne me pose pas fondamentalement de problème. Certains y voient une forme d'instrumentalisation d'une activité artistique par la science (ou la CST ?). L'aspect négatif de ce terme : "instrumentalisation" tient à ce qu'il sous-entend une tromperie. Instrumentaliser c'est se servir de quelqu'un dans le seul but de parvenir à ses fins ... Et alors ! Où est le mal ! Le problème me semble venir du fait qu'on utilise souvent ce terme pour des situations plus complexes. La personne instrumentalisée n'en serait pas consciente, ou alors les personnes avec qui elle va elle-même être en relation ne seraient pas prévenues de cette instrumentalisation. Dans le cas du "clown de science" rien de tout cela ! Au contraire.
On ne peut courir trop d'objectifs à la fois et quand il s'agit d'utiliser une forme de médiation ou une autre dans une action culturelle, les objectifs habituellement attachés à cette forme de médiation deviennent secondaires (ou se transforment en contraintes). La forme de médiation devient un moyen au service de la CST. L'inverse serait d'ailleurs tout à fait possible. (Cette articulation entre objectifs et moyens a déjà souvent été abordée sur Vulgaris, voir les billets taggés objectifs et plus spécialement celui sur le jeu)

Le clown, ce gros nul qui nous rassure

Le clown peut se définir par un tas de "caractéristiques". Un texte cité durant l'atelier du congrès (le 1er article de la charte du bataclown) en expose toute une panoplie. Toutes servent les objectifs du clown, mais certaines sont plus particulièrement intéressantes si le clown est lui-même au service de la CST (encore une fois, rien de péjoratif pour moi dans ce "servir").
Les termes de la charte sont en italique dans ce qui suit.

Le clown est fictif : c'est un personnage ... et personne ne s'y trompe. Pas de canular possible, pas de tromperie, son déguisement atteste et annonce que c'est un personnage qui est joué. Cet un avantage majeur dans la relation qui se construit avec le public. En effet le "jeux des casquettes" est souvent assez complexe en médiation des sciences et le public a des a priori qui ne facilitent pas les choses. Exemples : le conférencier est un prof de bio au lycée, cela en fait-il un homme de science, un scientifique, ... Tout prof de fac est-il chercheur ? Tout chercheur est-il prof ? Le médiateur-animateur est-il toujours de formation scientifique ? ... Avec le clown, pas de faux semblants, c'est un personnage fictif dont on va pouvoir découvrir les multiples facettes.

Le clown est émotif : l'émotion est communicative et permet de réduire certaines distances. Par sa sur-émotivité ou son exubérance, le clown peut aussi sur-jouer. En cela, il peut insister suffisamment sur certains messages et donc mieux garantir leur perception, voir leur compréhension, par son public. Par son émotivité, il pourrait aussi dédramatiser certaines émotions du public. Nous n'avons que peu eu l'occasion durant l'atelier d'aborder la place possible du clown dans le traitement des controverses scientifiques. Mais on comprend que ces sujets sont très souvent chargés d'émotion et qu'un personnage aussi émotif que le clown aurait un rôle à y jouer..

Le clown est naïf : c'est peut-être l'une des caractéristiques les plus notables pour une démarche de CST. Sa naïveté, sa crédulité, ses incompétences et incohérences plus ou moins soulignées positionnent le personnage du clown aux antipodes du savant ou sachant (tel qu'il peut être perçu par les publics). Si le chercheur ou le médiateur peut souffrir de l'a priori des publics vis-à-vis du sachant qui impressionne (voir écrase) son auditoire, le clown bénéficie d'un a priori inverse le positionnant naturellement comme moins doué, moins alerte, moins "intelligent" que son public. Le public se retrouve donc dans une relation extrêmement particulière à l'intervenant, une relation pleine de possible.
Du point de vu de l'apprentissage, le public est poussé en avant (pour reprendre l'expression utilisée durant l'atelier) par le clown vers la connaissance plutôt que tirer par le sachant. C'est le public qui "tire" le clown. De cette façon le public se retrouve très fortement valorisé. Mieux, il l'est sur le sujet qui nous intéresse et sur celui qui potentiellement pouvait lui apparaître comme le moins valorisable au sein d'une action de culture scientifique : ses connaissances à lui, sa démarche scientifique, son apprentissage.
Du point de vu culturel, la complexité d'une situation mettant en présence un public, un acteur non scientifique, un personnage fictif et naïf, un scientifique (ou son "discours") est une garantie d'échange foisonnant et de partages multiples et débridés. C'est le meilleur creuset d'une mise en culture.
Du point de vu communicationnel, enfin, la valorisation du public que permet la naïveté du clown peut supprimer nombre de distances. Il permet ainsi un meilleur dialogue, une meilleure participation, ... On retrouve d'ailleurs cette idée, quand il est écrit que le clown est toujours en relation avec le public et en empathie avec le monde.

Le clown est en contact avec le concret tout en dérapant dans l’imaginaire. Difficile de ne pas faire ici le parallèle avec l'activité même des chercheurs et scientifiques qui imaginent le monde et les théories qui l'expliquent, tout en restant fondamentalement (ou plutôt expérimentalement) accrochés au concret. Aucune idée de ce que l'on pourrait faire ou déduire de ce parallèle, mais faut avouer que c'est plutôt joli ! Non ?

Le clown est subversif (non par volonté mais par nature profonde) mais sans jugement sur les autres ni sur le monde. Encore un parallèle que je trouve surprenant. La science et sa pratique du doute, de la remise en cause, ... n'est rien de moins que subversive et sans jugement. Là par contre, j'identifie peut-être un potentiel de ce parallèle si on l'applique aux controverses. Dans ce cadre le clown pourrait tout à fait porter la "naïveté subversive" d'une science qui s'interroge (ou s'auto-interroge) sur tel ou tel sujet polémique. A quand un clown qui serait la science ???

Autres réflexions

Un métier comme celui de médiateur

Mais devant autant d'avantages pourquoi ne demande-t-on pas plus souvent à nos médiateurs de "faire les clowns" ? C'est simple : parce que c'est un métier ! C'est une évidence pour certains et notamment pour les médiateurs qui connaissent très bien les limites de la théatralisation dont ils sont capables. Mais je préssens que pour nombre de personnes, faire le clown c'est surtout mettre un nez rouge et faire le rigolo. Le burlesque du clown tend à faire oublier la complexité du travail d'acteur et les compétences nécessaires pour réellement "être un clown".
Il existe là un nouveau parallèle qui m'interpelle. Les médiateurs-animateurs souffrent eux aussi beaucoup d'une image dépréciée de leurs compétences et professionnalisme. "Tout le monde est bien capable de faire une visite". "Une fois qu'on a les contenus, un peu de tchatche et ça passe". Oui ! ça passe ! Mais cela n'en fait pas une médiation (de qualité). C'est comme un type avec nez de clown qui raconte une blague : il peut être drôle, mais il n'offrira rien de plus et surtout rien de tout ce qu'on a pu voir ci-dessus.

La magie et le clown

Parce que qu'un clown joue avec le merveilleux, parce qu'il dérape dans l'imaginaire, les clowns de sciences sont amenés à "faire de la démonstration", à utiliser des phénomènes extraordinaires. Ils procèdent souvent à des expériences qui semblent miraculeuses. En cela, il s'approche de la magie, de l'illusionnisme. Comme l'illusionniste, le "clown de science" passe un contrat avec son auditoire. Il lui garantit que le "truc" est accessible. Il cherche d'ailleurs à le faire comprendre au travers de son spectacle, et si tout n'est pas compris ou expliqué, il garantit que tout peut être rationnellement explicable. Le magicien passe un contrat d'un tout autre ordre avec son public. A l'inverse du "clown de science", celui-ci garantit que le truc ne sera pas accessible. Il convoque des explications ésotériques ou para ou supra normale aux phénomènes qu'ils exposent. Et si aujourd'hui personne n'est dupe de ces capacités (quoique !), le contrat reste explicite - le truc ne vous sera pas révélé et c'est cela qui amène dans l'imaginaire et non le personnage.

Le clown de science : un truc de dingue

Voilà en quelques mots comment je suis passé d'un regard fort critique (voir condescendant) à une admiration sans faille de cette activité si particulière qu'est le "clown de science".
Je ne suis pas certain d'être un public particulièrement "trippé" par ce genre de prestation, mais en tant que professionnel de CST, et particulièrement intéressé des sujets de médiation orale, le clown de science porte un potentiel énorme qu'il nous faut absolument utilisé.


* Je tiens tout de même à les remercier pour leurs interventions, leurs idées et les échanges qui ont eu lieu et qui m'ont ouvert les yeux sur ce truc qui me chiffonnait de longue date : l'intérêt des clowns de science. Merci donc à Anissa Benchelah & Richard-Emmanuel Eastes des Atomes Crochus. Merci également à tous les autres participants de cet atelier.

5 commentaires:

  1. Un très grand merci pour cet article et pour l’intérêt que vous portez à notre personne de prédilection.
    C'est avec plaisir que nous vous convions à notre Festival Colloque Des CLOWNS et des SCIENCES, qui aura lieu du 20 au 23 juin (http://www.science-clowns.fr/), où nous serons ravis de pouvoir de nouveau échanger avec vous.
    Merci encore,
    L'équipe des Atomes crochus.

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  2. Coup de chapeau pour cet article et l'ensemble de votre blog. Je le découvre par le compte rendu de l'atelier et le met en favoris !

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  3. Cool, merci mch !!!
    En tous cas, n'hésitez pas à venir y mettre vos remarques, commentaires et tutti quanti.

    A bientôt

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  4. La prestation du clown de science avec son humanité et sa sensibilité, nous entraine dans son univers, c'est à dire qu'il nous fait partager sa vision du monde.
    Dans la prestation de l'artiste lors de l'atelier, le clown tisse une histoire et une esthétique autour de phénomène naturel. Ces phénomènes nous apparaissent alors à travers ses yeux !

    C'est en cela que j'ai particulièrement apprécié le clown de science. Quel artiste !

    Comme tu le disais le contrat qui est passé avec le public contrairement au magicien stipule : on peut tout vous expliquer. Mais encore faut-il que cela soit effectivement expliqué. ;)
    Donc j'ai bien noté qu'un moment de médiation entre l'acteur, le scientifique et le public est indispensable pour échanger après le spectacle, sur les phénomènes montrés.

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    1. Je ne suis pas tout à fait d'accord. Le contrat doit effectivement être explicite : on peut tout vous expliquer. Mais rien n'impose que tout soit expliqué du moment que c'est expliquable.
      Le temps d'échange qui peut suivre le spectacle n'est pas pour moi une nécessité. Le spectacle se tient tout a fait sans et cela reste de la CST.
      Par contre ce temps permet d'aller plus loin, notamment dans la compréhension et les apprentissages. Il permet également de "prouver" que le contrat n'était pas un "faux".
      Après il ne faut pas négliger non plus que laisser de l'inconnu ou de l'incompris après avoir fait la preuve de l'accessibilité des explications, peut aussi être un but franchement intéressant de ce type de prestation.

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