Il doit y avoir de la littérature quelque part sur 'comment faire une expo pour des 3-6 ans'. Je ne l'ai pas lue... et en regardant autour de moi, je me rend compte que de toute évidence je suis loin d'être la seule. Alors, comme d'habitude sur 'Vulgaris', je vous livre en vrac quelques unes de mes idées empiriques sur la question... à charge pour vous de critiquer allègrement tout ça.
Je vais certainement encore une fois enfoncer des portes ouvertes... mais encore une fois, elles ne seront peut-être pas si ouvertes que ça... alors...on verra bien.
Je ne m'intéresse pas plus que ça au public petite-enfance... ou peut-être que si. En tous cas, je ne suis pas spécialiste. Mais j'aime bien les observer, ce que j'aime le plus, c'est le fait, qu'entre 3 et 5/6 ans, les enfants ont tendance à verbaliser énormément ce qui se passe dans leur tête. Du coup, en les écoutant on a accès aux associations d'idées, aux fonctionnements du cerveau face à une idée, un concept nouveau. On touche presque, en temps réel, à la construction des "connections mentales".
Et aussi, pendant le temps que j'ai passé au Muséum, j'ai eu beaucoup l'occasion de discuter avec Clotilde, médiatrice recrutée justement pour ses compétences (entre-autres) sur ce public bien spécifique. D'où l'envie d'écrire ce billet, pour récapituler un peu ces discussions que nous avons pu avoir, et faire la peau à quelques idées reçues sur la médiation scientifique envers les tout-petits. Je vais donc reprendre certaines de ces idées reçues, et au passage souligner aussi quelques "gaffes" qu'on a tous (ou presque) fait... avec un peu de chance cela pourra éviter à d'autres de grands moments de solitude.
Sept idées reçues :
Idée reçue n°1 : faire une offre pour les tout-petits c'est facileBen tiens, allez donc capter l'attention d'une bande de lapins duracel gonflés à bloc pendant une heure... je vous souhaite bien du courage et deux ou trois 'trucs' dans votre boîte à outils. Avec les enfants, pas le droit à l'erreur; le rythme, l'alternance entre jeux et moments calmes, tout ça doit être parfaitement maîtrisé, à moins de vouloir passer son temps à jouer au cow-boy dans un troupeau de vaches sauvages.
Idée reçue n°2 : à cet âge là, ce n'est pas la peine d'essayer de faire passer du contenu
Et pourquoi pas ? C'est une période où au contraire, les humains sont (encore) susceptibles d'être passionnés par à peu près n'importe quoi. Il ne faut pas oublier qu'ils viennent juste d'apprendre à marcher et à parler. C'est loin d'être une mince affaire, et ils s'y sont tous très bien pris, alors pourquoi pas la classification phylogénétique ? la formation de l'Univers ? la disparition des dinosaures ? le fonctionnement d'une machine à laver ? l'effet de serre ?.... Comme avec n'importe quel public, si on prend en compte ce qu'ils savent déjà, ce qu'ils sont capables de concevoir et sans vouloir faire un cours de niveau L3, il n'y a pas de problème intrinsèque à cette classe d'âge à faire passer du contenu sur quelque sujet que ce soit.
Idée reçue n°3 : on ne peut pas employer de mots scientifiques avec eux, c'est trop compliqué
Mais à 3 ans, selon votre histoire, "cependant" est un mot inconnu ou même "savonnette" (et oui, nous sommes nombreux à n'utiliser plus que du savon liquide!). Alors un mot compliqué de plus ou de moins, je ne vois pas trop où est la différence. D'autant plus, qu'un mot scientifique, pour peu qu'il soit un peu alambiqué, a toutes les chances de leur plaire, pas sa sonorité déjà, et par tout ce que vous allez pouvoir raconter autour. Un mot avec une histoire c'est un mot qui a du sens, et peu importe si en rentrant on le prononce un peu de traviole.
L'idée est plus, à mon sens, d'adapter son propre niveau de langage courant (exemple de "cependant" et "savonnette"), pour garder des termes scientifiques bien amenés et bien dosés.
Idée reçue n°4 : ils ont une conversation au ras des pâquerettes
Avec un peu de temps, on se rend compte que ... pas tant que ça. La capacité des enfants à faire rapidement des associations d'idées qui partent dans tous sens vient parfois pointer des trucs extrêmement pertinents auxquels on n'avait jamais pensé (ce qui peut être assez désagréable pour l'ego sur le moment, mais souvent très instructif). Si on prend le temps de les écouter, en ne se laissant pas rebuter par leur hésitations et leur usage parfois aléatoire du vocabulaire, on se rend compte qu'il y a souvent pas mal d'idées là-derrière... et même on pourrait en prendre de la graine.
Idée reçue n°5 : n'importe-qui peut concevoir et animer une offre pour les tout-petits.
Une offre, oui, certainement. Une offre adaptée et de qualité à la fois au niveau scientifique et pédagogique c'est loin d'être évident. A tel point qu'il ne suffit pas "d'en avoir envie" ou "d'aimer les enfants" ni même "d'avoir des enfants" (les enfants des autres sont toujours très différents des nôtres, je ne sais pas pourquoi ???). Est-ce que parce que vous avez un ficus à la maison vous vous considérez comme botaniste ? Ben avec les enfants c'est pareil. Ce n'est pas parce qu'on a 1 ou 2 enfants qu'on va concevoir une offre adaptée AUX enfants. (Le corolaire étant qu'on n'a pas non plus besoin d'être parent pour concevoir des offres pour les tous petits). Voir "idée reçue n°1 : faire une offre pour les tous petits c'est facile".
Idée reçue n°6 : ils ne savent pas lire, ce n'est pas la peine de mettre des cartels.
Ce n'est pas complètement idiot, c'est important de réfléchir des manip qui soient suffisamment ergonomiques pour que les pitchous puissent commencer à s'en servir sans explication.
Par contre, les enfants de cet âge sont rarement (c'est un euphémisme) tous seuls dans une expo. En général, les enfants sont accompagnés d'adultes (parents, enseignants, accompagnateurs), qui eux, savent lire. Ainsi, on rédige des cartels, à destination des adultes pour une retransmission vers les enfants.
Globalement, dans les expo prévues au départ pour des tous petits, il y a en général des cartels simplissimes qui décrivent en 3 mots l'action à réaliser : "tourne la manivelle... appuie sur le bouton". Et ça s'arrête là. Rien sur l'explication du phénomène observé, soit qu'on ait considéré que "c'était trop compliqué à expliquer" (voir idée n°2), soit que, les enfants ne sachant pas lire, ce n'était pas la peine de se prendre la tête, soit encore que c'était moche de rajouter un panneau avec du texte.
Et là, il y a tout un pan à explorer 'comment rédiger un cartel à destination d'un médiateur', parce que dans ce contexte le parent est bien un médiateur. ça sera pour un autre billet...
Idée reçue n°7 : les filles vont être plus compétentes que les garçons dans l'animation d'une offre tous-petits.
Celle-là, je ne pensais vraiment pas avoir à la mettre... sauf que...récemment, pour animer un espace tout-petits, je n'ai vu que des filles (qui font du très bon boulot, hein!!! ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit). Donc, bon, ce n'est pas le cas partout, bien sûr...mais enfin, ça n'a pas non plus l'air d'être évident pour tout le monde.
Et deux autres remarques:
Déjà entendu : il faut innover si on veut capter leur attention.ça dépend ce que l'on entend par "innover". C'est quelque chose que j'ai déjà abordé dans le billet sur l'espace tout-petits du Science Museum.
Pour 'innover' Wiktionnaire me donne "1.Introduire quelque chose de nouveau dans un usage, une coutume, une croyance, un système scientifique ou philosophique, etc. "
Introduire quelque chose de nouveau DANS... dans quoi??? A 3 ans (et même à 5) la rencontre avec le nouveau est beaucoup plus fréquente qu'avec le connu (un marronnier peut-être nouveau, ou les courgettes, ou un chihuahua). Une manip' vieille de 50ans sera certainement nouvelle pour un enfant. Et si elle fonctionne, pourquoi, alors vouloir à tout prix en changer? Souvent c'est parce que nous, on en a marre de voir la même manip', que nous, médiateur, avons envie de tester autre chose. C'est légitime, mais autant savoir pourquoi on fait les choses, et ne pas se chercher une excuse "publics". De la même façon, les enfants se baladent rarement tout seuls dans un centre de science... et le regard des adultes accompagnants doit être pris en compte. Mais encore une fois, c'est un public secondaire qui a "besoin" de l'innovation, pas le public cible. Par contre, l'environnement dans lequel va s'insérer la manip' en question, lui doit correspondre au public et à ses références qui ne sont pas les même que 50 ans en arrière.
Déjà observé: on peut utiliser les références de quand nous on était petits (c'est plus une gaffe assez courante qu'on fait une fois et puis on apprend)
En bon médiateur, on sait que raccrocher une idée, une information à quelque chose de connu, aide souvent à faire passer le message. Face à du public, il faut estimer ce connu, avec des adultes c'est assez simple, en piochant dans ses propres références, on s'en sort en général assez bien. Avec des tout-petits, barbie et playmobil ça marche à peu près... bioman et candy vachement moins. Dans la même veine, on a tendance en tant qu'adulte à mal estimer la durée de vie de la "culture" d'une tranche d'âge : par exemple, je pense qu'on peut considérer que Kirikou est déjà largement dépassé. Vous pouvez être repêché grâce aux DVD, mais c'est tout de même risqué. Par contre, le Disney de l'année, que les pitchous l'aient vu ou pas... ils en auront forcément entendu parler ("merci" au marchandising).
et si tout simplement on concevait plus d'animations qui laissent les enfants libres d'être créatifs comme ils l'entendent ? (où on a pas besoin de se demander si le vocabulaire, les conversations sont accessibles, où on sort du registre "discours", de la transmission (même rendue digérable), "encadrée" de près par des adultes) Des animations où ils sont libres d'être moteurs de leurs actions/inaction/attention/divagation/reflexion/jeux... ? seuls, ensemble, avec des adultes (par qu'ils le sollicitent pour faire quelque chose qu'ils ont envient de faire, de comprendre)? pour aller sur des activités optionnelles aux choix dans un espace adapté avec des animateurs-accompagnateurs
RépondreSupprimerj'ai un ami qui organise de Coding Goûter (pour apprendre le code, on peut pas dire que c'est "facile" a priori...) de cette façon
http://ils.sont.la/post/kids-code-and-cakes-coding-gouter-paris
ou par exemple apprendre à designer une ville (j'aurais bien aimé faire ça :):
http://oonaghmurphy.com/2012/03/26/cardboardcities/
Aah mais oui, ah mais bien sûr ... merci pour les liens et des pistes à creuser, à copier, à s'approprier...
RépondreSupprimerJ'en redemande